|
J.-M.-G. Le Clézio
Désert
Distribution
Chorégraphie : Bouvier / Obadia
Interprètes : Joëlle Bouvier, Régis Obadia, Catherine Berbessou, Patricia Marie, Nathalie Million,
Éric Affergan, Jêrome Bel, Lex Bohlmeijer
Musique : Nicolas Frize
Décor : Dominique Jousseaume
Lumière : Marc oliviero
Costumes : Dominique Roux
Photo : Stephen Marty
Régisseur : Jean-Marc Levy
Coproduction : CCN de Haute Normandie / L'Esquisse / Théâtre de la ville / Festival d'Avignon
Presse
Hommes et femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit, venus d'un ailleurs indiscernable, ils ont échoué dans une citadelle engloutie et le piège s'est progressivement refermé sur eux. Ont-ils cherché à s'évader par l'escalier étroit entre deux pans de murs verticaux, ou celui débouchant sur un promontoire ? A moins que ces quelques marches ne soient qu'illusion, espoir vain menant au vide...
Avec "Derrière le mur", leur dernière création au festival d'Avignon l'été dernier, et repris récemment au Théâtre de la Ville, Bouvier et Obadia visent juste, réveillant une sensibilité enfouie dans un coin secret de notre âme. Nous ne ressortons jamais indemne de l'univers clos dans lequel ils nous plongent. Nous l'avions vu avec "Le Royaume Millénaire", "Tête close" et "Ventée". Ici encore, dans une ambiance sensuelle et violente, douloureuse et ardente, les coprs exacerbés parlent un langage à nul autre pareil. La "patte" de Bouvier-Obadia est là, un cri surgi de sous une pierre pour la soulever et y laisser s'infiltrer un rayon de soleil...
Les huit personnages, sans identité dans leur ressemblance, rampent à terre, cuisses écartées puis brusquement rapprochées, bondissent puis retombent violemment sur le sol, nuque brisée, corps cambré, arc-bouté, regard brûlant. Plus qu'ils ne dansent, ils cherchent à s'exprimer. Séparément et ensemble, ils parlent de ce désir et ce besoin d'amour qui paraît ne jamais se concrétiser. Les femmes alors, dans un dernier élan, échouent désespérément dans les bras d'un partenaire masculin. Il y a aussi cette menace permanente et énigmatique à laquelle ils tentent d'échapper, mais qui semble les enfermer dans ce site perdu dans la nuit des temps. Ce sont toujours des courses éperdues d'un point à, un autre, d'un être à un autre. Mais personne ne sait réellement à quoi ou à qui se raccrocher. Ils sont là, impuissants, dans cet univers mystérieux à l'étrange pouvoir de fascination. Alors, sans jamais perdre totalement espoir, ils s'écroulent sur le sol, soulevant des nuages de sable, comme pour tirer de la terre nourricière une énergie nouvelle. A moins que, refusant leur destin, ils ne déroulent un long tapis rouge dans l'attente d'un roi ou d'un dieu qui les apaisera et les mènera vers la lumière... Rituel un peu sacré que l'on ne peut définir, ni justifier.
Dans "Derrière le Mur", il est question de guerre, guerre au quotidient, absurde combat de l'homme contre l'homme. Alors que la musique atteignait des sonorités trop perçantes, je n'ai pu m'empêcher de penser à celle, terrifiante, des Pink Floyd, dans « The Wall » ; bruit infernal des lâchés de bombes, mêlé aux sirènes et aux hurlements des populations, s'amplifiant inexorablement pour gagner son paroxysme et nous plonger subitement dans le silence insupportable de la mort... Alors, de la ville ravagée, monte lentement le pleur d'un enfant... Renouveau ou fin d'un monde ? Libération ou agonie ? A chacun son interprétation. Je sais que je garderai toujours en mémoire ce poignant instant musical...
Question de guerre dans la chorégraphie de Bouvier et Obadia, mais de virginité et de sacrifice aussi. Les femmes se dépouillent de leurs vêtements gris - armures de tissus qui emprisonnent les pulsions - pour enfiler une longue robe blanche, gomme si elles allaient prendre un nouveau départ en disant "je suis prête". A quel appel répondent-elles ? A quel Dieu se soumettent-elles ? Leur combat ne semble pourtant pas achevé, elles sont toujours aux prises avec les mêmes angoisses. Impossible de chasser leurs obsessions. Et, tandis que l'eau régénère la terre, elles finissent pas se résigner.
Nous nous laissons captiver, presque malgré nous, par cette surprenante composition de tableaux successifs, renforcés par le subtil éclairage de Marc Oliviero.
|